Le ciel est couvert, masquant un timide soleil qui essaie tant bien que mal de réchauffer l’assistance de ses rayons. Le vent et le froid sont eux est bien présents et nous rappellent que la terre de Flandres savait se montrer inhospitalière, même avec ceux venus la libérer.
Mais l’espoir demeure. Symbolisé par les chants de quelques oiseaux venus affirmer le retour des beaux jours, par ces pensées et ces jonquilles fleurissant au pied des stèles et qui rehaussent de teintes chaudes le décor gris qui nous entoure.
La cérémonie se déroule suivant le protocole. Le vent chasse au loin les paroles des intervenants. Il faut tendre l’oreille. Faire l’effort. Et puis renoncer. Mais après tout, ne dit-on pas que seuls les écrits restent ? Et encore, pas tous. Il suffit pour s’en convaincre de contempler ces nombreuses stèles érodées, usées et dont on peine à croire qu’elles ont un jour porté une quelconque inscription.
Heureusement, le cœur des hommes est parfois aussi résistant que l’airain. Ceux de certains présents en ce jour conservent et chérissent le souvenir d’un aïeul, que ni le temps ni ses outrages n’effaceront des mémoires.
Le plus bel exemple qu’il soit est donné par Madame Félicia Gloria da Costa Assunção Pailleux. Cette petite dame, d’apparence si frêle, est pour tous ce que la lumière du phare est au marin à la recherche d’un port tranquille. Un repère, un motif d’espoir, une raison de continuer debout.
D’ailleurs, l’exposition installée dans les locaux de l’Office de Tourisme de Lillers est en cela édifiante et touchante. Madame Félicia Gloria da Costa Assunção Pailleux l’a intégralement organisée. Elle a fait la part belle aux photographies de soldats portugais. Ces derniers ont été photographiés dans les locaux d’une école d’un petit village près de la ligne de front. Ils posent seuls ou en groupe, l’un avec un chiot, un autre arborant autour du cou son masque à gaz, un dernier à côté d’une belle paire de chaussures, posée en évidence sur une chaise. Et il y a son témoignage, à Madame Gloria da Costa Assunção Pailleux. Quelques feuilles glissées dans un porte-vues et posées sur une petite table recouverte du drapeau portugais.
On peut y découvrir ses souvenirs d’enfant.
Souvenir de son père, ancien combattant portugais de la Grande Guerre, resté en France car prisonnier volontaire de son amour pour une belle et jeune femme française.
Souvenir d’une enfance modeste mais heureuse au sein de sa grande fratrie.
Souvenir des interminables journées de travail que son père accomplissait dans le seul but de faire vivre dignement sa famille.
Souvenir des réunions entre anciens combattants portugais qui devisaient dans la langue de leur terre natale et à laquelle elle ne comprenait rien (car son père avait tenu à ce qu’elle et ses frères et sœurs apprennent le Français dans le but de favoriser – déjà – leur intégration dans la société française de ce début de XXe siècle).
Et il y a l’espoir. L’espoir qu’après elle, le souvenir perdure, que la transmission se fasse et que jamais l’oubli ne rattrape et n’engloutisse tous ces visages, toutes ces histoires qui ont marquées ici en France et là-bas au Portugal des centaines de familles.
La cérémonie à touche à sa fin. Madame Gloria da Costa Assunção Pailleux pose pour quelques photographes puis enroule son drapeau et quitte le Cimetière Militaire Portugais. Direction Lacouture et son Monument National Portugais pour la cérémonie qui doit s’y dérouler. Elle y déposera une gerbe de fleurs, entourée de ses deux petits-fils dont l’héritage est déjà si riche. Puis, quand tous les officiels, les militaires et les badauds auront quitté un à un les lieux, elle attendra patiemment sur le trottoir de la mairie qu’on vienne la chercher. Mais elle n’est pas aussi seule qu’on pourrait le croire. Elle serre contre elle son drapeau. Ses souvenirs les plus chers lui réchauffent sans doute le cœur. Avant de quitter les lieux, je m’attarde un peu. Puis le soleil, si discret depuis le début de la matinée, fait son apparition, baignant de lumière le Monument aux Morts et le carrefour rendu à la circulation. La vie a repris son cours.
Mon épouse et moi-même reprenons la route. Le ciel s’est couvert. Il pleut à grosses gouttes désormais.
A l’année prochaine, Madame Gloria da Costa Assunção Pailleux.